vendredi, septembre 09, 2005

-Ecrits lus, parlés- Génocide de moucherons


J'ai une concierge. Et oui, je fais parti de cette masse grouillante de gens qui vivent en appartement et qui ont une concierge. La mienne habite juste sous mes pieds, car je suis au premier étage. Elle garde un immeuble très bien, très agréable, avec un peu de cachet.
Oui, parce qu'elle n'est pas juste concierge, elle est gardienne aussi. Sa seule fonction n'est donc pas d'être à l'affût du moindre événement dans l'immeuble ni de le répéter aussi sec. Non, non, elle est gardienne aussi. Ce qui signifie qu'elle porte une attention toute particulière aux moindres bruits de l'immeuble.
Ah, j'allais oublier, elle est portugaise aussi. Je ne m'expliquerai certainement jamais pourquoi ils sont aussi présents dans cette fonction. "Présents", ou plutôt "présentes". Y aurait-il une prédisposition chez eux ? Une comparable à celle des hexagonaux à être de vrais pocherons couperosés ?
Toujours est il que ma chère concierge aime les plantes. C'est une lubie assez curieuse pour quelqu'un qui exerce son métier, d'autant que je rappelle que contrairement à ce que l'on raconte c'est les concierges qui sont les plus mal logées. Elle n'a donc pas la place d'élever ses plantes vertes (oui, au vu de la quantité on peut appeler ça de l'élevage). Alors elle a placé son troupeau, docile et discret, faut avouer, non loin du local à poubelles. J'ignore si cela joue sur le mental des chlorophylliens, mais la vue des grosses boites, vertes également, épanouit nos chers empotés.
Mais tout cela participe à un autre écosystème beaucoup plus nuisible. D'ailleurs uniquement composé de ce que l'on nomme des "nuisibles". Effectivement, rendez-vous compte : les plantes, ça a besoin d'eau. Les poubelles, ça dégage des odeurs nauséabondes. Alors cumulons l'eau stagnante des plantations avec le fumet des déchets et on obtient une colonie de moucherons (En plus il fait chaud).
Bon, moi, je suis au premier, ça ne devrait pas me concerner. Mais l'architecte de mon immeuble était un fantaisiste apparemment. En effet, il a tourné la cuisine, vers....les poubelles. C'est original, mais c'est un peu dérangeant lorsque l'on se prépare à manger d'avoir une fenêtre sur ce panorama. Enfin, passons. Et ma joyeuse colonie de moucherons aussi envahissante que de la marmaille en vacances, décide de grimper les échelons. Et moi, vu qu'il fait chaud, j'ouvre la fenêtre de la cuisine. C'est pas tellement gênant, vu que l'odeur des poubelles reste au rez-de-chaussée. Mais les moucherons sont plus courageux que les relents de détritus, et ils se hissent jusqu'à ma fenêtre. De là, étant donné que je fais rarement la cuisine dans le noir, ils se croient invités à entrer. Finalement ils s'installent.
Un jour se passe, ils sont cinq, peut-être huit (difficile d'être sûr de pas compter deux fois le même moucheron dans le recensement). Le lendemain, on est devant sa gaziniére faisant chauffer de l'eau pour le premier café résurrecteur, quand on lève malencontreusement les yeux. On constate alors qu'ils sont plus nombreux (On parle souvent de la reproduction des blattes, mais les mouches c'est pas triste non plus). Mais vu l'état d'éveil, on hésite avant de décider d'aller au salon avec la tasse dans une main et l'autre portée au caleçon.
On vient de subir la première défaite : "Commandant, ils ont établi un poste avancé dans la cuisine.....c'est atroce ! Ils ont déjà colonisé une poubelle et le sucre a du mal à tenir son bastion !"
L'heure est grave. Ils tiennent la cuisine, tapis contre les murs. Lorsque vous pénétrez, vous vous sentez observés. Mais en silence. Ils vous observent. Alors vous saisissez un torchon, pour faire acte de résistance. Hélas, en vain. Ils sont rapides et moqueurs. Après leurs esquives ils vous narguent en se reposant EXACTEMENT au même endroit. On vient de rentrer dans la guerre psychologique, ça fait pas un doute.
En plus ils avancent, peu à peu ils gagnent la porte de la cuisine. De là, s'ils prennent le couloir, ils auront accès aux organes vitaux : la salle à manger, la chambre. Mais surtout, surtout, le SALON ! La pièce où se trouve la télé !!!! Non, ça ne doit pas arriver. Au nom des droits acquits durement en 1789, ça ne doit pas arriver. Au nom de tous ceux tombés au champs d'honneur entre 39 et 45, pour que l'on puisse avoir accès à de vrais programmes américains en libre accès. Ça ne doit pas arriver. Au nom du suffrage universel, l'abolition de l'esclavage, le droit à l'avortement, des 82 % républicains de Chirac en 2001, du droit à une deuxième paire gratuite chez Afflelou... non ! Ils n'auront pas la boite à conneries.
Bon, on se console quand même avec cette nouvelle du front : les généraux sont formels, ils n'auront jamais les chiottes.
Ça y est il est temps de réagir, ils ont conquis le couloir. Le ravitaillement ne vous parvient plus. Vous êtes à court de munitions....L'heure est grave. Votre chat ne vous est d'aucune aide, il joue avec, ce con !
Vous êtes dans vos derniers retranchements, défendant fièrement la télé (le PC est déjà tombé depuis longtemps. Le divertissement cathodique semble vivre ses derniers instants) Vous abattez courageusement une partie de leurs appareils, mais ils sont d'une habileté peu croyable. Il vous apparaît comme certain qu'ils ont étés formés par un as japonais de la guerre du Pacifique.
Vous allez renoncer quand tout à coup vous vient une idée. Une de ces pensée dont on ne sait d'où elle peut bien provenir, vu qu'elle semble malsaine comme tout. Votre arme secrète sera....l'ASPIRATEUR. Mais oui, ils sont rapides, habiles, mais leurs moteurs sont petits et faibles. Un aspirateur devrait crée une dépression suffisante pour les entraîner dans le tuyau et les envoyer s'écraser contre le fond du sachet (vu leur masse en plus, ça va faire très mal !).
Vous gagnez le local à aspirateur tant bien que mal. Ils ont compris ! Ils virevoltent autour de vous comme si vous étiez un sachet bleu. Ils tentent des attaques désespérées. Certains kamikazes se jettent sur votre épiderme devenu gluant de leur chair.
Mais vous servant de votre main comme d'une puissante machette de tonton macoutte, vous vous frayez un chemin vers l'instrument démoniaque de votre salut. Lorsque vous l'atteignez enfin vous vous rappelez qu'il faut le brancher pour qu'il délivre toute la puissance dont il est capable. Problème: les moucherons tiennent la prise électrique la plus proche. Leurs renforts sont enfin arrivés. Des mouches !! Elles sont là, lourdes et bruyantes. Elles sont généralement beaucoup plus tenaces et ont plus de facilité à manoeuvrer prés de leur cible en tournant autour. Qu'à cela ne tienne ! Il faut passer. Vous entamez la conquête de la prise. L'opération la plus dure. Certains ennemis se sont même sacrifiés en entrant dans la prise pour y fondre et l'obstruer. Quelle abnégation ! Ils viennent de gagner votre respect. Vous combattez donc avec humilité et considération pour votre adversaire que vous allez malheureusement finalement défaire.
Vous atteignez la prise, l'embout mâle de l'aspirateur dans une main couverte d'adversaires vibrant dans un dernier élan. Malgré la résistance obstinée, mais respectable de ces derniers, vous alimentez l'arme de destruction (étant donné le rapport de tailles entre l'engin et les moucherons, on peut même ajouter : "massive"). Le rotor se met en route, ce bruit vous tire des larmes avant un sobre : "Crevez ! Saloperies !". Votre arme aspire tout alentour, des dizaines de moucherons disparaissent dans le tube annelé vers un voyage sans retour. Vous gagnez du terrain, le couloir a dores et déjà été repris. Le salon est en cours de capitulation. Vous finirez par la cuisine, c'est normal. Votre trachée mécanique ne s'arrête plus d'ingurgiter de l'insecte, on dirait qu'elle y prend plaisir. Vous êtes tout deux en pleine symbiose.
Après une bonne heure à batailler, les dernières poches de résistance ont rendu les armes.
Vous coupez le moteur qui s'éteint dans une plainte de devoir cesser. Vous le rangez.
Puis vous avachissant sur le canapé pour vous délecter d'un bon programme bien niais, mais symbole de la liberté chèrement gagnée, vous regardez le mur d'un oeil quelque peu morne :
"Tiens, un cafard".

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